[Le dernier carillonneur d'Aussois (Savoie)]

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0740 FIGRPT2040 01
technique 1 photographie positive : tirage noir et blanc ; 24 x 18 cm (épr.)
historique Mi-mi, ré-ré, do-do... Vous savez, je joue le Bon roi Dagobert", et puis deux, trois autres, machins comme ça. Mais je ne suis pas quelqu'un d'extraordinaire, je n'ai rien de merveilleux !". A soixante-dix-huit ans, Félix Colly est le dernier carillonneur d'Aussois, un petit village de cinq cents âmes perché au-dessus de Modane, dans le parc de la Vanoise. Et, sans doute, le dernier carillonneur de la région. Après lui, personne ne prendra la succession, faute de volontaires. "C'est un métier pénible. Faut pas être infirme, vous savez ! Mais, à nos âges, ça va encore bien !". Petit, fluet comme un roseau, Félix Colly a l'agilité d'un acrobate. Depuis plus de quarante ans, il grimpe les escaliers en bois raides et branlants de l'église d'une traite. Presque en courant. Dans le noir. "Attention, il manque deux marches à cet endroit. Faut enjamber. C'est un peu instable, mais ça devrait tenir." L'âge n'y a rien changé. Même pas essoufflé. Arrivé dans son étroit clocher de bois, ouvert aux quatre points cardinaux, il garde un sourire intact, rajuste simplement son béret et se courbe pour ramasser les cordes qui traînent. "Celle là est un peu vieille, il va falloir que je la change. C'est étroit ici, mais quand je joue, pour les fêtes, c'est plein à craquer. Parfois, ça me perturbe. Si je regarde quelqu'un, je perds le fil et il m'arrive de faire une fausse note." Félix Colly connaît ses quatre cloches par coeur. Depuis le jour où, adolescent, il est monté dans le clocher écouter jouer son cousin. Avant d'apprendre à son tour. "Ca s'est fait comme ça, petit à petit. J'ai appris un peu tout seul. Puis, quand je me suis un peu plus occupé de l'église, je suis devenu carillonneur." Félix s'active, rassemble ses cordes, resserre des courroies, se baisse, se relève, court à droite et à gauche. "L'important, c'est le réglage. Il ne faut pas qu'il y ait trop d'espace entre le battant et la cloche. Juste un doigt." Il tire sur les cordes, les accroche une à une à des clous plantés dans les poutres. "Je ne peux pas jouer tous les jours. Il faut surtout venir au 15 août, lorsqu'il y a les pompiers en costume d'époque. Et puis pour la Fête-Dieu, au mois de juin. Autrement, il y a trop de monde." Une cloche tinte sur un mouvement un peu vif. Aussitôt, Félix Colly met la main sur sa bouche, les yeux écarquillés, comme un enfant pris en faute qui rit de sa bêtise: "Si je joue tout le temps, les gens vont se demander ce qui se passe !". En quelques minutes, les quatre cloches sont arrimées. La "grosse", comme les autres. Même la plus petite et la plus vieille, le sol, qui date du XVIIIe siècle. Puis Félix Colly s'assoit sur son tabouret et se passe des sangles autour des cuisses. "Il faut appuyer fort. C'est un peu compliqué. Avant, on les sonnait à la volée. Mais plus maintenant. Elles sont fixes. Ca fait beaucoup de bruit. Je crois que c'est pour ça que je commence à moins bien entendre". Après quarante-six ans de mariage, l'épouse de Félix Colly, Dalila n'est jamais montée dans le clocher. Elle s'y refuse préférant l'écouter de sa maison, dans le village. Un peu inquiète, sans doute, de le voir poursuivre ne activité épuisante. [...] En attendant, Félix Colly continue de carillonner aux fêtes. Et aucun de ses six enfants ne prendra la suite. "Il y a bien un cousin qui a essayé, mais c'est difficile". Et les villageois d'Aussois, ainsi que "des gens de partout dans toute la France", affluent à chaque concert. Pour écouter "Le Bon roi Dagobert", "Là haut sur la montagne", ou encore "deux ou trois machins comme ça". Source : "L'esprit de clocher" / Carole Chatelain in Lyon Figaro, 27 octobre 1989, p.36.
note à l'exemplaire Négatif(s) sous la cote : FIGRP00803.

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